Encore la question du genre littéraire. C’est une question de fond pour moi avec laquelle je me débats depuis que j’exerce mon métier d’historien d’entreprise, c’est à dire depuis 2006.
J’ai parfois eu du mal à l’expliquer simplement, or, depuis peu, deux livres me permettent d’éclaircir et d’exprimer mes idées.
Voici deux biographies, l’une sur Mileva Einstein, l’autre sur Berthe Morisot. Le genre est identique, la biographie, l’auteur raconte la vie d’une personne, mais l’approche littéraire diffère. Marie Benedict a voulu mettre en scène la vie et le quotidien de l’épouse d’Albert Einstein tandis que Dominique Bona narre la vie du peintre et muse de Manet en enchaînant les faits et les descriptions. Le premier auteur se met à la place de son héroïne et utilise le « Je », le second est un narrateur extérieur évoquant Berthe à la troisième personne du singulier.
» Ma marche vers le campus de l’Institut polytechnique à travers les rues humides et embrumées de Surich avait éprouvé ma mise soignée, et mon épaisse tignasse brune m’agaçait , à refuser obstinément de rester en place. Je voulais que cette journée soit parfaite jusque dans les moindres détails. » / « Berthe en a assez de copier les chefs-d’œuvre : l’art de Fantin-Latour la laisse sur sa faim. Elle étouffe dans son salon. Elle s’étiole au Louvre. À force de peindre en intérieur, en suivant des principes académiques, il lui semble que la peinture menace de l’asphyxier. »
J’ai toujours considéré que le « Je » avait une puissance phénoménale dans un texte car il permet d’énoncer des propos intimes et de créer ainsi une proximité avec le lecteur. J’incite souvent mes clients à s’exprimer ainsi dans mes livres en prenant soin d’envelopper leur « Je » dans une narration qui amène leur citation. Je me vois mal utiliser le « Je » en me mettant à la place du fondateur d’une entreprise. Si un jour je devais utiliser la première personne du singulier, j’imagine plutôt devenir un narrateur extérieur qui décrirait ses relations et ses observations sur l’entreprise. J’ai pu le faire une fois seulement, pour le livre sur le cabinet R&C, des architectes bioclimatiques qui souhaitaient s’exprimer sur leur métier. Cette approche plus sensible laissait en effet la porte ouverte au « Je » d’un narrateur extérieur exprimant ses sensations.

Pour un livre davantage historique, le style se rapproche de celui de Dominique Bona. La chronologie des événements donne lieu non pas à une écriture romancée qui intègre des passages fictifs (comme dans « Madame Einstein »), mais à une rédaction qui doit être selon moi mise en tension par les réels questionnements de l’entrepreneur, les succès, les échecs ou l’avènement de faits extérieurs.

La problématisation des enjeux, faire que le lecteur ne perde pas le fil de ce qui sous-tend la dynamique de l’entreprise est le moyen le plus efficace que j’ai trouvé pour mettre mon texte en tension, et ainsi éviter une simple narration chronologique des faits.
À la différence de Dominique Bona, je peux faire parler le chef d’entreprise, le personnel, les clients…
Pour mes « biographies » d’entreprise, je me retrouve ainsi dans un espace littéraire entre les deux livres. Depuis 2006, je peaufine mon approche, mon style. Mon théorème pourrait ressembler à : plus l’intention est historique, plus l’écriture est consacrée aux faits ; plus l’intention est portée sur l’évocation de son métier et de ses valeurs, plus l’écriture (et l’auteur !) se « détend » et autorise une narration romancée.
Au fur et à mesure que j’avance dans mes livres, je cherche à assouplir mon style sur les récits historiques. Car, quand même, j’ai mis deux jours à lire « Madame Einstein » et deux semaines pour Berthe Morisot 🙂 Se sentir emmenée dans une histoire a quelque chose de magique. Offrir ce sentiment à mes clients et lecteurs est une étoile qui me guide.
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