En dix années, j’ai pu affiner ma vision de la transmission d’entreprise entre père et fils. Et je suis bien désolée de n’avoir pas encore pu interviewer une femme, cela dit j’aurais dû changer mon titre et ma sympathique photo de couverture.
Bien.
Transmettre une entreprise familiale est une histoire en soi, un sujet qui va chercher loin et qui demande une introspection de ses motivations profondes. Car pour père et fils, tout est lié, chacun a vécu l’entreprise de l’intérieur, en voyant sa progéniture jouer dans le tas de sable au pied des ateliers ou à la faire dormir dans les chambres de l’hôtel familial.
Je connais bien ce sentiment d’attachement et de familiarité puisque j’ai moi-même grandi à quelques pas de l’atelier d’ébénisterie de mon père. Très jeune, les termes de client, de commande, de prix ont eu un sens, très souvent proche de celui de la contrainte d’ailleurs. Pour exemple, le circuit des vacances était toujours truffé de réunions avec des clients…
Mais, bref, donner ou reprendre l’entreprise familiale revient forcément à véhiculer tous ses souvenirs, cette charge émotionnelle.
Force ou fardeau ? Souvent, les jeunes générations résument la situation par « être fils de, n’est pas une compétence ». Peur de se tromper, de ne pas être à la hauteur face à l’héritage comme devant les salariés sont des craintes souvent formulées, comme si on se trouvait entre le marteau, l’histoire familiale, et l’enclume, les équipes.
« J’ai observé plusieurs stratégies : travailler dans tous les secteurs de l’entreprise et ainsi maîtriser tous ses rouages, avancer en binôme avec son père, souvent sur des missions clairement séparées, consolider son parcours par des études supérieures ou par des formations. Un point de commun a été la posture facilitatrice du père, de celui qui cède, et ce selon deux sens, transmettre et s’effacer. Certains « pères » m’ont expliqué avoir dû mettre leur fougueux caractère d’entrepreneur en veilleuse pour laisser la place à leur fils. Même leur femme ne les reconnaissait plus, tandis que des « fils » ont dû batailler et avancer par acte symbolique, comme l’interdiction d’assister au conseil d’administration. D’autres ont dû prouver leur valeur, si bien que dans certains cas extrêmes, seul le décès du père est libérateur. Il est clair que la confiance est capitale pour la réussite de la transmission. »
Globalement, les pères, fils, petit-fils ont cette capacité de faire de leur passé un héritage qui leur ouvre l’avenir. Cette déférence au passé agit comme une sorte de turbine, les relançant sans cesse dans leur poursuite d’innovation et de pérennisation. Car ce qu’ils veulent tous, c’est transmettre à nouveau l’entreprise. Qu’elle soit viable et « recevable » est l’enjeu, parfois confusément conscient, de ces chefs d’entreprise qui se projettent dans la durée.
On sait que les entreprises centenaires partagent toutes d’avoir transformé cette force du lien en stabilité des équipes dirigeantes. Ce qui fait dire à certains PDG que si l’entreprise devait « sortir » de la famille, elle resterait familiale tant que les valeurs transmises de générations en générations seront respectées et assimilées par les dirigeants « extérieurs ».
J’en termine sur ce qui aurait pu être une introduction, la définition d’une entreprise familiale.
Selon J. Allouche et B. Amann : « On retiendra comme familiale, l’entreprise au sein de laquelle un ou plusieurs membres d’une même famille étendue ou de plusieurs familles influencent significativement son développement par le détention de droits de propriété sur le capital, en faisant prévaloir des liens de parenté dans l’exercice du processus de choix des dirigeants, qu’ils soient issus de la famille ou recrutés à l’extérieur, en affichant la volonté de transmettre l’entreprise à la prochaine génération et en sachant le poids de l’entreprise sur les intérêts et objectifs de la famille. »